Les chrétiens du monde entier s’apprêtent à entrer dans une semaine de célébrations retraçant les derniers jours de Jésus à Jérusalem, période fondamentale dans leur religion. Mais que fêtent-ils précisément ?
«La foule nombreuse étendit ses manteaux sur le chemin, d’autres coupaient des branches des arbres et les étendaient sur le chemin». Jésus de Nazareth entre dans Jérusalem entouré d’une foule en liesse, raconte Saint Matthieu dans le chapitre 21 de son Évangile : «Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !», crie la foule, qui acclame celui qu’elle voit comme le Messie.
Près de 2000 ans plus tard, les chrétiens du monde entier célèbrent encore l’«entrée triomphale» de Jésus dans la Ville sainte, durant le dimanche des Rameaux. Ils rentrent ainsi dans la Semaine sainte, dernière partie du Carême, un temps liturgique de 40 jours consacré à Dieu. Ce dernier s’achève avec la Vigile pascale, dans la nuit du samedi au dimanche suivant, nuit durant laquelle les chrétiens célèbrent la résurrection du Christ. Ces quelques jours sont le centre «de l’année chrétienne et de sa liturgie», avance d’emblée Jean-Marie Salamito, historien spécialiste de l’histoire antique du christianisme.
Et pour cause, les événements qui se sont écoulés autour de l’année 30 de notre ère ont posé les fondations du christianisme tel qu’il est encore pratiqué aujourd’hui. «On est au cœur du mystère chrétien, avec cette particularité que la Passion et la Résurrection sont des événements uniques mais réactivés chaque année dans la célébration», résume le professeur à la Sorbonne.
L’entrée dans Jérusalem
Cette semaine particulière commence ainsi par la commémoration d’une entrée remarquée. Jésus est accueilli par une foule importante aux portes de Jérusalem. D’abord car c’est un homme très «populaire», rapportent de nombreuses sources historiques, y compris non chrétiennes. Mais aussi car la Pâque juive [période juste avant laquelle Jésus arrive dans la cité, NDLR] était une grande fête de pèlerinage, durant laquelle la ville attirait habituellement du monde. «C’est donc une scène assez spectaculaire», commente Jean-Marie Salamito.
Le Nazaréen fait son entrée sur un âne, animal qui est d’abord un symbole de paix. «Entrer sur un cheval aurait été le fait d’un chef de guerre», analyse l’universitaire. Mais cela renvoie surtout à la prophétie de Zacharie qui déclarait, chapitre 9, que le roi d’Israël arriverait sur un âne. «Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici, ton roi vient à toi ; Il est juste et victorieux, Il est humble et monté sur un âne » (Livre de Zacharie 9,9).
Aujourd’hui encore, cette fête n’a pas perdu de sa célébrité : «C’est un dimanche de très grande influence dans les églises de France car beaucoup de gens qui ne viennent pas à l’église d’habitude s’y rendent pour cette célébration, avec la volonté d’avoir des rameaux bénis par les prêtres», explique le professeur à la Sorbonne. Qui poursuit : «On est donc bien dans cette logique chrétienne que le centre de toute l’Histoire est la vie de Jésus, et que le centre de la vie de Jésus est cette Semaine sainte».
Si la scène est belle, Jésus est pourtant grave, relatent les textes bibliques. Car le Nazaréen a déjà affirmé à ses disciples qu’il mourrait dans cette ville : «Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés» (Luc 13, 34). Pour l’évangéliste, le regard de Jésus est même différent : «Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem» (Luc 9,51). D’autant qu’il n’a pas pour habitude de se rendre dans les grandes villes, note Jean-Marie Salamito. «Jésus a toujours une action qui se situe en contexte rural. C’est un homme qui a vécu à Nazareth, mais aussi à Capharnaüm, deux villages. C’est une manière d’être proche du peuple des campagnes.»
Le dernier repas et l’arrestation
Concernant les jours suivants, «on note plusieurs divergences entre les textes», poursuit l’universitaire. «En revanche, on sait que se prépare une sorte de complot contre Jésus». Il y aurait en effet eu une entente entre l’aristocratie sacerdotale de Jérusalem, dont le Grand prêtre, et le gouverneur romain Pilate, qui ne réside dans la ville qu’au moment des célébrations de la Pâque juive.
C’est dans cette atmosphère particulière que se déroule le dernier repas de Jésus avec ses disciples, la Cène, qui est aujourd’hui célébré le Jeudi saint. En plus d’être décrite dans les Évangiles, cette soirée est également racontée par Paul de Tarse qui écrit sa première lettre aux Corinthiens dans les années 50. «C’est l’un des textes les plus anciens que nous avons et Paul a certainement échangé avec des témoins qui ont connu Jésus», explique Jean-Marie Salamito.
C’est ce jour-là que commence le Triduum pascal, les trois jours qui constituent le centre de gravité de l’année liturgique. «Pour les chrétiens, c’est là où tout se joue car il y a l’humanité avant Jésus et après Jésus», résume l’universitaire.
Durant ce repas, Jésus rompt le pain et partage le vin. «Il accomplit un geste symbolique, en donnant du pain à ses disciples et en leur disant que c’est son corps. Il leur donne également du vin en leur disant que c’est son sang. C’est l’origine de toute célébration chrétienne», souligne l’universitaire. Car c’est bien un héritage que délivre Jésus de Nazareth : «Faites cela en mémoire de moi» (Luc 22,19). Ces phrases et ces gestes, qui constituent l’eucharistie, sont d’ailleurs répétés depuis chaque dimanche dans toutes les églises du monde. «C’est l’un des deux gestes chrétiens les plus anciens, avec le baptême», résume l’historien.
Durant ce repas, Jésus évoque également la trahison qu’il va subir par son disciple Juda. «Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera», raconte Saint Jean (13,21). Tous les textes bibliques «montrent que Jésus est conscient qu’il va vers la mort et qu’il l’accepte», commente l’historien.
Jésus et ses disciples se retirent ensuite dans le jardin des Oliviers. Là, des serviteurs du Grand prêtre de Jérusalem, guidés par Juda, viennent le chercher avec une cohorte romaine, rapporte l’Évangile selon Saint Jean. Mais pourquoi cette trahison ? L’état des recherches ne peut qu’offrir des hypothèses «fragiles», confesse Jean-Marie Salamito. «Juda aurait attendu que Jésus libère les juifs du joug des Romains, et, découvrant que ce n’était pas son projet, l’aurait trahi. C’est une explication parmi d’autres.»
La Passion du Christ
Dans la foulée, Jésus est emmené devant des autorités juives. «Le grand prêtre et son entourage pensent que Jésus risque d’amener les juifs à se révolter contre les Romains, ce qui provoquerait un véritable bain de sang», détaille le professeur à la Sorbonne. Au matin, le Nazaréen est finalement amené à Ponce Pilate, dans son «prétoire». Contrairement à l’image populaire, «la foule n’était probablement pas immense» ce jour-là, analyse l’historien. «Jésus a été arrêté pendant la nuit. Comme il était populaire, les autorités n’avaient pas d’intérêt à ce qu’il y ait une foule nombreuse».
L’échange commence, Jésus semble inébranlable. Durant le procès, Pilate est d’ailleurs «très vraisemblablement impressionné par celui qu’on décrivait comme un simple agitateur», affirme Jean-Marie Salamito. «Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation» (Jean, 18-38), déclare le gouverneur romain aux autorités juives de Jérusalem. Avant d’ajouter : «Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ?». En vain, la foule peu nombreuse soutient plutôt Barabbas, un meurtrier également retenu par Pilate.
Jésus est alors condamné à la crucifixion, un supplice régulièrement utilisé par les Romains. Il est d’abord flagellé avant de subir d’autres pratiques humiliantes (partage des habits, couronne d’épines) qui «correspondent aux droits des soldats romains de se moquer d’un condamné à mort», détaille le professeur. Qui insiste : «Il faut se souvenir que nous sommes dans une réalité d’une très grande violence».
Après avoir porté sa croix jusqu’au sommet du Golgotha, «Jésus de Nazareth Roi des Juifs» (inscription moqueuse sur sa croix, NDLR) est ainsi cloué sur la croix. Ce supplice, c’est «l’idée de donner la mort lentement et dans une position intenable», insiste le chercheur. Pour ne pas mourir étouffé par le poids de son corps, le condamné doit se redresser sur ses pieds cloués, ce qui lui procure une douleur insoutenable. «Il alterne entre l’étouffement et la souffrance extrême». Jésus meurt ainsi en quelques heures, «probablement très affaibli par les jours précédents et la flagellation». Car lorsque les Romains viennent pour lui casser les jambes afin de mettre fin à ses supplices, celui qu’on appellera le Christ a déjà rendu son dernier souffle.
Pour commémorer cet événement, les chrétiens suivent un chemin de Croix, véritable acte dévotionnel, en quatorze stations lors du Vendredi saint chaque année. Il s’agit du seul jour de l’année où il n’y a pas de consécration [moment où les hosties deviennent le corps du Christ par les paroles du prêtre, NLDR].
Le corps de Jésus est finalement mis au tombeau dans l’après-midi du vendredi, soit la veille du Sabbat. Les récits s’interrompent jusqu’à la découverte de la sépulture vide par des femmes qui préviennent immédiatement les disciples, au lendemain du Sabbat. Ensemble, ils retrouvent le suaire posé sur une pierre, racontent les Évangiles. C’est à ce moment-là que naît le christianisme. «Si l’on en croit les récits, il se passe donc quelque chose dans la nuit du samedi à ce qui va devenir notre dimanche : la Résurrection. C’est ce qui est fêté par les chrétiens lors de la Vigile pascale, avec des cierges», détaille Jean-Marie Salamito, qui résume : «C’est la lumière dans les ténèbres, la vie qui triomphe sur la mort».
Le Figaro