Frappées de plein fouet par la crise qui sévit au Liban depuis 2019, les écoles catholiques se trouvent au bord du gouffre. Le père Youssef Nasr, secrétaire général de l’Enseignement catholique dans le pays, revient pour Aleteia sur l’année écoulée et rappelle les nombreux défis à relever dans les prochains mois.
Depuis 2019, le Liban connaît l’une des plus graves crise politique, économique et sociale de son histoire. Avec la chute de la valeur de la livre libanaise, une inflation galopante et l’impuissance de l’État, les promesses d’avenir sont des plus sombres. Les écoles catholiques, qui ne sont pas épargnées par la crise, survivent grâce aux aides et aux dons. Le maintien de ces 320 établissements représente un enjeu majeur pour la société, car 20% des élèves libanais y sont scolarisés. « Il n’y a pas de risque d’effondrement mais cela pourrait arriver dans les années à venir », explique à Aleteia le père Youssef Nasr, secrétaire général de l’enseignement catholique au Liban.
Comment la crise impacte le quotidien et le fonctionnement des écoles ?
Père Youssef Nasr: Nos établissements souffrent de beaucoup de problèmes au niveau de la construction. Il y a de gros soucis pour tout ce qui relève de la maintenance, de l’entretien et de la réparation des bâtiments qui ne se font plus depuis le début de la crise. Pour le moment, il n’y a pas de risque d’effondrement mais cela pourrait arriver dans les années à venir. Nous essayons donc d’anticiper en réservant une partie de la contribution des parents (5 à 10%) pour l’entretien et les réparations des établissements scolaires. Sinon nous risquons d’exposer les élèves à un grand risque. Ensuite, nous avons dû faire face à un problème de coupures d’électricité publique pendant longtemps. Maintenant, nous avons des panneaux solaires, grâce aux aides qui nous viennent des ONG et de l’ambassade de France. Avec la crise, c’est tout notre système de vie qui a changé. Tout est réduit au minimum. Par exemple, avant la crise, nous pouvions organiser des sorties culturelles, des expositions, des voyages scolaires et des fêtes. Aujourd’hui, tout cela n’est plus possible.
Nous avons passé une année presque normale, nous avons accompli les programmes et passé les examens officiels. Mais ce qui nous attend pour l’an prochain est beaucoup plus difficile, c’est un défi majeur. Au début de cette année 2022-2023, nous avons décidé de donner une aide en dollars aux enseignants, dont le salaire a été divisé par 3 depuis le début de la crise. Mais le dollar valait en septembre entre 30 à 35 000 livres libanaises, aujourd’hui il en vaut plus de 100.000. Cette aide que nous avons donnée vaut donc 30% de sa valeur initiale. Nous avons décidé de donner une subvention supplémentaire, en tout 300 dollars, pour que les enseignants puissent continuer leurs missions. Mais aussi pour garder nos meilleurs professeurs, car à cause de cette situation, les enseignants les plus qualifiés quittent le métier ou le pays.
Selon les chiffres de l’ONU, 80% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, et la situation pourrait s’aggraver. Avez-vous perdu des élèves dont les parents ne peuvent plus assumer les frais de scolarité ?
Les chiffres des organisations internationales parlent de plus de 80%. Mais il faut préciser quels sont les critères de pauvreté. Selon nos critères, la moitié des parents est capable d’assumer ce qui est exigé pour inscrire leurs enfants. Concernant les plus pauvres, aucun élève n’a été mis à la porte de nos établissements. Au contraire, le nombre d’effectifs dans nos écoles a augmenté. C’est une politique des écoles catholiques, qui a une mission de servir toute la population avec une attention particulière aux plus pauvres sans aucune discrimination. Mais c’est un défi. Nous l’année prochaine pour voir combien de parents d’élèves ne seront pas capables de payer. Et nous ferons ce que nous avons fait cette année. Nous nous sommes servis de toutes les aides venues des ONG, des bienfaiteurs, des Libanais expatriés pour venir compenser ce que les parents ne sont pas capables de fournir.
Les écoles catholiques ont la mission de servir toute la population avec une attention particulière aux plus pauvres sans aucune discrimination.
C’est essentiel, surtout pour les écoles catholiques semi-gratuites (90 sur les 320 écoles catholiques libanaises, ndlr.), qui sont au service de cette population la plus pauvre. Elles ont une grande mission, on ne peut pas les perdre. Il y a déjà une congrégation qui a annoncé la fermeture d’un de ces établissements dans la région de Zahlé. Nous craignons que cela se répète dans d’autres régions du Liban. Alors quoi faire ? C’est la même politique: évaluer les capacités financières des parents, et utiliser les aides pour soutenir les écoles semi-gratuites. Beaucoup d’ONG sont sensibles à la situation de ces écoles qui normalement sont prises en charge par l’Etat. On doit réussir à mettre en place une politique exceptionnelle pour les maintenir.
Pourquoi les écoles catholiques sont-elles si importantes pour la société libanaise ?
La place des écoles catholiques dans la société libanaise est essentielle pour deux raisons. Ce sont les écoles catholiques en particulier qui éduquent à la citoyenneté. Nous sommes des bâtisseurs de la patrie, et nous sommes conscients que nous avons une responsabilité pour construire un nouvel Etat, ce Liban dont nous rêvons. Le deuxième point est de maintenir notre paysage démographique actuel, c’est-à-dire dans sa pluralité. Surtout, nous essayons de maintenir une présence chrétienne, de faire en sorte que les chrétiens puissent rester dans leurs villages. Quant à l’évangélisation, c’est une question d’éducation à la foi et de témoignage. C’est une de nos responsabilités les plus importantes mais le but n’est pas de faire du prosélytisme, 30% de nos élèves sont musulmans. Nous avons des cours de religion, comme dans toutes les écoles, et toute la vie scolaire est imprégnée de nos valeurs chrétienne.
Malgré cette situation très difficile, avez-vous des raisons d’espérer ?
Nous continuons à accomplir notre mission car nous sommes convaincus de la base centrale de l’éducation au Liban. Les Libanais sont très attachés à l’éducation, c’est la seule chose qu’ils peuvent donner à leurs enfants. C’est grâce au sacrifice des parents, à la sagesse de la direction et parfois à la gratuité des enseignants que nous avons pu résister jusqu’à présent.
Nous avons la conviction que cette crise va prendre fin, grâce à cette capacité de résilience des Libanais, et grâce aux différentes aides que nous recevons. Nous nous sentons entourés, aidés et aimés.
C’est notre foi chrétienne qui génère l’Espérance. Nous sommes fils du Christ ressuscité qui a vaincu la mort ! Nous ne devons jamais perdre l’Espérance. Le Liban est déjà passé par d’autres périodes de crises, peut-être plus aiguës encore, comme dans les années 1980. Mais il a su les dépasser. Nous avons la conviction que cette crise va prendre fin, grâce à cette capacité de résilience des Libanais, et grâce aux différentes aides que nous recevons. Nous nous sentons entourés, aidés et aimés. Cela nous aide à espérer et garder le moral de savoir que nous maintenons notre valeur aux yeux des autres.
La France a-t-elle un rôle à jouer ?
Nous attendons de la République française qu’elle nous aide à débloquer notre situation politique. Le sentiment de solidarité entre les hommes doit prévaloir, surtout en des moments de crise. Il faut rappeler que les écoles catholiques sont les seules à être engagées au service de la francophonie. Il y a donc un devoir des Français de soutenir ces écoles catholiques dans leur mission. Si les écoles catholiques disparaissent, il n’y aura plus personne qui s’engagera pour la francophonie au Liban. C’est essentiel. Nous espérons un soutien à tous les niveaux: que ce soit moral, éducatif, et en dernier, un soutien financier.
Aleteia