La basilique du Sacré-Cœur de Montmartre à Paris vient d’être inscrite aux monuments historiques. Cela devrait lui permettre d’être classée au premier semestre 2021. Cette distinction de l’église parisienne, qui domine le paysage parisien et est un symbole de la capitale, ne fait toutefois pas l’unanimité.
“Une provocation et une insulte à la mémoire des 30.000 morts de la Commune, a réagi sur Twitter l’ex-grand maître du Grand-Orient de France, Philippe Foussier. Érigé pour faire payer aux Parisiens leur résistance aux Prussiens puis aux Versaillais, ce monument mériterait au contraire un “déboulonnage”. On lui réserve une consécration.”
“Une insulte à l’histoire de France et aux morts de la Commune”, a commenté de son côté l’Union des familles laïques dans un communiqué, selon qui “la mémoire des dominants efface l’histoire”, et pour quoi cela constitue “une deuxième mort pour les révolutionnaires de 1871”.
En 2013, le communiste Ian Brossat dans une vidéo pour le JDD avait même proposé de “changer” le Sacré-Cœur pour le “remplacer par un espace de solidarité, un monument qu’il “n’aime pas”. En 2017, un Parisien avait proposé la destruction du monument à l’occasion du vote du budget participatif.
Comme le montrent les quelques exemples cités précédemment, la haine contre le Sacré-Cœur vient principalement de l’extrême-gauche et des militants d’une laïcité très stricte. 150 ans après le lancement de sa construction, la mémoire autour de Montmartre reste douloureuse et la querelle mémorielle est loin d’être éteinte.
Rappelons tout d’abord que la colline de Montmartre est chère aux chrétiens depuis le IVe siècle puisque c’est là que le premier évêque de Paris, Denis, aurait été martyrisé. Une première chapelle a été construite, selon la tradition rapportée sur le site de la basilique, par sainte Geneviève, dès le Ve siècle. L’église Saint-Pierre-de-Montmartre a été construite au XIIe siècle, et reste, à l’ombre du Sacré-Cœur, l’une des plus anciennes églises de Paris, comme le rappelle la Fondation Avenir du patrimoine à Paris.
Les massacres des Communards
Toutefois, au XIXe siècle, c’est le sang d’autres “martyrs”, républicains ceux-là, qui a ruisselé sur la colline. Alors que la France est défaite à Sedan et que la République est proclamée sur les ruines du Second Empire, un armistice est signé. Une grande partie des Parisiens refusèrent cette décision et entrèrent en insurrection contre le gouvernement de Versailles, issu de l’Assemblée nationale à majorité monarchiste récemment élu.
Un gouvernement se met en place à Paris, républicain et inspiré des idées socialistes : la séparation de l’Église et de l’État est actée à Paris, laïcisation de l’enseignement, prémices de l’autogestion, remise en place du calendrier républicain… L’expérience de la Commune reste une référence déterminante pour une partie de la gauche jusqu’à nos jours.
Toutefois, la Commune de Paris est réprimée dans le sang. Les “Versaillais”, le gouvernement français, mettent le siège sur Paris. Lors de la “Semaine sanglante”, les Communards sont durement réprimés. Le chiffre des morts est difficile à établir, mais il serait de plusieurs milliers. Or, durant toute la période, Montmartre est au cœur de l’insurrection de la Commune.
Une basilique pour expier les péchés des Communards ?
Or, l’idée de construire une grande église sur la colline de Montmartre vient dans la foulée de cet épisode historique tragique. Avant les événements de la Commune, deux notables parisiens, Alexandre Legentil et Rohault de Fleury, ont fait le vœu de construire une basilique en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus, symbole selon les catholiques de l’amour de Dieu pour les hommes et dévotion très important au XIXe siècle.
Si le “Vœu national” ne mentionne pas directement la Commune de Paris – le site de Montmartre refuse d’ailleurs tout lien avec les événements de la Commune – la construction de cette basilique a été pour beaucoup une manière “d’expier ‘les crimes de la Commune'”, comme le notait un rapport d’information parlementaire de 2008. Comme le rappelle Le Point, Hubert de Fleury fait référence à la Commune lors de la pose de la première pierre.
De fait, l’Assemblée nationale vote une loi en juillet 1873 – 32 ans avant la loi de 1905 – qui fait de la construction de la basilique un projet d’utilité publique. Le Parlement conservateur permet ainsi des expropriations pour la construction de cette église, bien qu’elle ne “sera construite exclusivement avec des dons provenant de souscriptions”. La basilique de Montmartre, qui surplombe Paris, est vue comme une volonté des catholiques de s’imposer face à la République.
Un classement pour réconcilier les mémoires ?
Longtemps occultée par le “roman national”, la mémoire de la Commune a été peu à peu réhabilitée ces dernières années, notamment pour ses avancées sociales visionnaires à l’époque. En 2004, le square que traversent les grands escaliers qui permettent à la Basilique est renommé “Louise-Michel” par le Conseil de Paris, du nom d’une des figures de la Commune.
Ce square sera classé au même titre que la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Ce nouveau statut a une signification symbolique de réconciliation, puisqu’il protège en même temps un lieu du culte catholique et le théâtre de la révolte du peuple de Paris, a souligné le ministère de la Culture auprès de l’AFP.
“Si la Ville de Paris a émis un avis favorable à l’inscription de l’édifice au titre des monuments historiques, c’est que nous voyons là l’occasion de réconcilier ces deux histoires“, défend aussi Karen Taïeb, adjointe à la maire de Paris en charge du patrimoine, auprès du Point. “Notre préoccupation est strictement patrimoniale et vise à s’assurer de la transmission de ce symbole de Paris aux générations futures”, explique pour sa part le préfet Marc Guillaume.
RTL