Les chercheurs israéliens ont retrouvé trois fragments de textile dans le sud d’Israël, colorés à l’aide de la teinture royale « argaman » – ou pourpre – qui est décrite dans la Bible. Ces morceaux de tissu auraient été fabriqués aux environs de l’an mille avant l’ère commune, à l’époque du roi David. C’est la trouvaille la plus ancienne en son genre dans la région et elle apporte un poids tangible et particulier au récit biblique portant sur le royaume des Edomites dans la région à cette période.
Teints avec le colorant le plus précieux du monde antique, ces textiles ont été trouvés lors de fouilles entreprises dans la vallée de Timna, aux abords d’Eilat, et ils offrent un nouvel aperçu surprenant sur une ancienne élite. Ces morceaux de tissus minuscules, aux couleurs brillantes, sont la preuve la plus reculée dans le temps de l’existence de ce colorant dans le sud du Levant tout entier et ils permettent de jeter un nouvel éclairage sur le royaume d’Edom et sur le royaume israélite, il y a 3 000 ans – une période évoquée dans la Bible, qui détaille la conquête des Edomites par le roi David.
- Un fragment du rare tissu pourpre datant de l’an 1000 avant l’ère commune retrouvé lors de fouilles dans la vallée de Timna. (Crédit : Dafna Gazit, Autorité israélienne des antiquités)
- Le site 34 des fouilles de la vallée de Timna, qui s’appelait dans le passé “la colline des esclaves”. Les nouvelles conclusions indiquent que les forgerons qui travaillaient sur le site bénéficiaient d’un haut statut social. (Crédit : Erez Ben-Yosef, université de Tel Aviv)
- Le docteur Erez Ben-Yosef et la docteure Naama Sukenik examinent des fragments de textile colorés découverts à Timna. (Crédit : Yolli Schwartz, autorisation de l’Autorité israélienne des antiquités)
- Des espèces de murex découvertes sur les côtes israéliennes, de droite à gauche : Le Murex brandaris; le Murex trunculus, and le Murex haemastoma. (Shachar Cohen, autorisation de Zohar Amar)
Également appelé « pourpre antique » ou « pourpre de Tyr », cette couleur vibrante que les millénaires n’ont guère entamée est produite à l’aide de poches sécrétrices prélevées sur trois espèces de murex – des gastéropodes – vivant sur les rives de la mer Méditerranée. Pour arriver aux célèbres mines de cuivre du roi Salomon à Timna, aux abords de la côte de la mer Morte, le vêtement avait dû parcourir des centaines de kilomètres, ce qui n’avait assurément fait que renforcer son prestige et sa valeur.
« C’est une période très ancienne pour y constater l’utilisation du ‘pourpre de Tyr’ et le découvrir dans cet endroit a été très surprenant pour nous », a commenté jeudi le professeur de l’université de Tel Aviv Erez Ben-Yosef auprès du Times of Israël. « C’est un site qui est profondément ancré dans le désert, et nous ne pensions pas que ce type de textile prestigieux était utilisé dans ce genre d’endroit. »
Cette découverte, affirme Ben Yosef, offre « un élément supplémentaire dans notre nouvelle compréhension des peuples nomades à cette période, au moment de l’émergence de ces anciens royaumes d’Israël, d’Edom, de Moab, d’Amon, de tous ces royaumes locaux de l’ère biblique ».
Ben-Yosef fait des fouilles à Timna depuis 2013.
La teinture « argaman » et sa variante « techelet », ou azur (qui était créée à travers un traitement, là aussi, des sécrétions des coquillages) sont mentionnées à des dizaines de reprises dans la Bible et dans le Cylindre de Sennacherib écrit aux environs l’an 690 avant l’ère commune, entre autres. Ce pourpre particulier était lié à la loyauté et aux prêtres, ainsi qu’aux textiles utilisés au Tabernacle et dans le Temple juif.
Ce tissu et les murex ont été tous les deux au centre d’une étude approfondie et pratique réalisée dans le cadre d’une recherche interdisciplinaire et collaborative qui est parue dans le prestigieux journal PLOS One scientific cette semaine. L’enquête a suivi les chercheurs depuis les terrains des fouilles à Timna jusqu’aux laboratoires universitaires israéliens – en passant par les marchés de poissons de Milan et de Palerme, en Sicile.Un fragment du rare tissu pourpre datant de l’an 1000 avant l’ère commune retrouvé lors de fouilles dans la vallée de Timna. (Crédit : Dafna Gazit, Autorité israélienne des antiquités)
Jusqu’à présent, il avait été seulement prouvé que cette teinture royale avait existé au moins mille ans plus tard, pendant la période romaine où elle était de grande valeur.
L’article, intitulé « Preuve de la présence d’un textile teint en pourpre royal dans la vallée de Timna (Israël) » a été co-écrit par la docteure Naama Sukenik, qui travaille à l’Autorité israélienne des antiquités, et Ben-Yosef, en collaboration avec le professeur Zohar Amar, le docteur David Iluz et le docteur Alexander Varvak de l’université Bar-Ilan, avec le renfort de la docteure Orit Shamir, de l’Autorité israélienne des antiquités.
Ben-Yosef explique que Timna était avant tout un site connu pour ses réserves de cuivre, qui avait été extrait par les habitants de l’ancienne terre d’Israël dès le cinquième millénaire avant l’ère commune et jusqu’au début de la période islamique, il y a environ 1 400 ans. Même récemment, dit-il, l’État naissant d’Israël avait construit une petite usine qui produisait du cuivre dans le secteur.
Le climat sec qui domine à Timna, une vallée située dans les profondeurs du désert d’Arava, a permis de préserver exceptionnellement bien des matériels organiques, comme cela avait été le cas notamment de textiles et de morceaux de cuir datant de l’ère romaine, à une période bien plus avancée, qui avaient été trouvés par les archéologues dans des grottes à Masada.
Mais ce qui est remarquable à Timna, continue Ben Yosef, c’est que ce nouveau « scoop » est lié au début de l’âge de Fer. « On parle ici d’une période qui s’étend du 11e au 9e siècle avant l’ère commune et il s’agit d’une période qui a été très discutée dans l’histoire de la terre d’Israël » – c’est la période qui aurait connu l’ascension des royaumes bibliques de Judée et d’Israël.
Le docteur Erez Ben-Yosef et la docteure Naama Sukenik examinent des fragments de textile colorés découverts à Timna. (Crédit : Yolli Schwartz, autorisation de l’Autorité israélienne des antiquités)
En plus des bouts de tissu et autres indications laissant penser à des conditions de vie relativement luxueuses, l’image qui s’est esquissée à l’issue des fouilles change le point de vue qui était nourri jusqu’alors sur les nomades édomites, note Ben-Yosef. « Nous considérons ces trouvailles comme les prémisses du royaume d’Edom » plus que comme un campement qui aurait été d’une nature purement tribale, dit-il.
Dans ce désert aride de Timna, « on a trouvé des choses inhabituelles par rapport à de ce qu’on était traditionnellement amenés à découvrir – des textiles, du cuir, ces choses qui s’abîment et qui ne sont guère en bon état », dit Ben-Yosef. « Aujourd’hui, nous avons donc un aperçu sans précédent des populations de la région à cette période très ancienne grâce à ces matériels organiques étonnants et uniques. Nous avons des dizaines et des dizaines de fragments de textiles et de cordes, de la vannerie… ces choses qu’on ne trouve pas habituellement », s’exclame-t-il.
Sukenik, conservateur de l’AAI en charge des matériels organiques découverts pendant les fouilles, confie au Times of Israël que, chaque année, cette équipe de recherche se rend sur le site de Timna pour accéder à ce type de découvertes extrêmement rares – et que les membres de l’équipe ne cessent de s’en émerveiller.
Le site 34 des fouilles de la vallée de Timna, qui s’appelait dans le passé « la colline des esclaves ». Les nouvelles conclusions indiquent que les forgerons qui travaillaient sur le site bénéficiaient d’un haut statut social. (Crédit : Erez Ben-Yosef, université de Tel Aviv)
Ces nouvelles trouvailles ont été faites sur la Colline des esclaves, un lieu qui accueillait ce qui était sans doute la plus importante fonderie de la vallée riche en cuivre, que l’équipe explore depuis maintenant six ans. En réalisant des fouilles, les archéologues ont découvert de minuscules fragments de textiles de nombreux types. Certains appartenaient à des tentes, d’autres avaient aidé à former des sacs mais d’autres encore étaient brillamment colorées.
Sukenik déclare que l’équipe a noté les trois fragments de pourpre qui dépassaient furtivement d’un grand nombre de morceaux de tissus qui avaient été découverts.
« Nous avons vu certains fragments où la couleur était réellement particulière. On voulait ardemment, à ce moment-là, que cela puisse être de l’argaman, cette teinture la plus chère de l’industrie textile antique », dit-il.
Du terrain au laboratoire
Les fragments de textiles ont été apportés au sein du laboratoire de l’université Bar Ilan où il a été confirmé que les molécules 6-monobromoindigotines et 6,6-dibromoindigotines — qui sont uniques au murex qui produit le colorant – avaient été découvertes sur les fragments après des analyses de type HPLC (Chromatographie liquide haute pression), qui sont utilisées pour identifier les colorants organiques.
Selon l’article, « l’identification des colorants organiques dans les textiles archéologiques est une tâche complexe en raison de la faible concentration de molécules dans les fibres et de la quantité limitée de matériel disponible pour l’analyse destructrice ».
Le docteur Erez Ben-Yosef et la docteure Naama Sukenik examinent des fragments de textile colorés découverts à Timna. (Crédit : Yolli Schwartz, autorisation de l’Autorité israélienne des antiquités)
Arriver à ce résultat a été une « tâche digne de Sisyphe », précise Sukenik, et a nécessité un travail d’une grande intensité.
Apprendre que la teinte était précisément un « pourpre de Tyr m’a personnellement rendu très heureuse », ajoute Sukenik. Elle précise qu’un véritable trésor de coquilles de murex a été récemment retrouvé lors de fouilles réalisées sur le site de Tel Shikmona, dans le nord d’Israël, datant des 10e au 7e siècle avant l’ère commune. Parce qu’il s’agissait d’une matière organique, l’un des morceaux de tissu de Timna a aussi été envoyé pour subir un test au carbone 14 dans laboratoire d’Oxford, et c’est là que la date de l’an 1000 avant l’ère commune a été calculée.
Si nous avions accès aux placards de David et Salomon, nous trouverions des vêtements similaires – et peut-être même plus de pourpre de Tyr »
Au début de l’âge de Fer, « on savait déjà qu’il y avait une industrie textile de teinture pourpre », note-t-elle. Mais jusqu’à présent, aucun textile pourpre de l’époque n’avait été découvert. Selon le journal, la première preuve archéologique de l’utilisation du colorant date du 19e siècle avant l’ère commune et elle consiste en coquilles de murex.
« Je suis tellement heureuse qu’Erez [Ben-Yosef] nous ait donné l’opportunité d’avoir accès aux placards à vêtements de l’époque de David et Salomon et que nous ayons pu voir la garde-robe de l’élite qui vivait à l’époque des mines de cuivre », continue-t-elle.
« Je suppose que si nous avions accès à la garde-robe de David et de Salomon, nous trouverions des vêtements similaires – et peut-être même plus de pourpre de Tyr », poursuit-elle.Un fragment du rare tissu pourpre retrouvé dans la vallée de la Timna, datant de l’an 1000 avant l’ère commune. (Crédit : Dafna Gazit, Autorité israélienne des antiquités)
Se salir les mains pour la science
Découvrir que les morceaux de textile vieux de 3 000 ans avaient été teints au pourpre royal n’a été qu’une étape dans le voyage entrepris par ce projet ambitieux de recherche. Lors d’un autre épisode, qui n’est pas raconté dans l’article de PLOS One, Zohar Amar, de l’université Bar Ilan, s’est rendu sur des marchés aux poissons en Italie pour procéder à des expériences sur les trois espèces de coquillages.
Ces gastéropodes sont actuellement en danger au sein de l’État juif et Amar explique au Times of Israël qu’il n’a pas été en mesure d’obtenir suffisamment d’échantillons dans le pays pour mener ses expériences. Il s’est donc rendu à Milan, où se trouve le plus important marché de poissons de toute l’Europe. Là-bas, les coquillages font partie du régime alimentaire italien et deux espèces de murex, Murex brandaris et Murex trunculus, sont omniprésents sur les étals.Le professeur Zohar Amar de l’université Bar Ilan reproduisant le processus de coloration. (Autorisation : Zohar Amar)
Amar a loué un laboratoire et a embauché des techniciens locaux pour mener des centaines d’expériences sur les gastéropodes. Chaque glande, pour un animal, ne sécrète qu’une quantité minuscule de colorant – environ un gramme. Il a donc commandé une quantité importante de coquillages qui sont arrivés dans des réfrigérateurs particuliers pour conserver ces derniers en vie et assurer leur fraîcheur.
Même dans les textes antiques – comme dans les écrits de l’auteur romain Pline l’Ancien et dans le Talmud – il est précisé que les glandes de gastéropodes doivent être fraîches pour permettre d’extraire la meilleure qualité possible de colorant. Amar, pour sa part, déclare qu’après avoir utilisé des poches sécrétrices sèches qui lui avaient été livrées au sein de l’État juif pour réaliser certaines expériences, il peut dorénavant reconnaître la valeur des gastéropodes bien vivants.
Les glandes sont traditionnellement séchées au soleil mais Amar a fait venir un four d’Israël pour accélérer le processus.
« Cela a été un travail très dur et très malodorant », s’amuse-t-il.
J’ai jeté ce qu’ils mangeaient et j’ai utilisé ce qu’ils jetaient
Les pêcheurs italiens qui lui ont livré les coquillages « ont pensé que j’étais un peu fou. J’ai jeté ce qu’ils mangeaient et j’ai utilisé ce qu’ils jetaient », ajoute-t-il, éclatant de rire.
Il y a 2 000 ans, les rabbins avaient débattu des gastéropodes – ils sont interdits dans le régime alimentaire des Juifs pratiquants – se demandant comment des créatures d’une telle impureté pouvaient être à l’origine d’une teinture qui avait été utilisée dans des sites qui étaient alors considérés comme hautement sacrés, comme le Tabernacle et le Temple.
Amar répond qu’à travers ses expérimentations, il a pu remarquer qu’il ne restait rien de la viande des coquillages. Par le biais du processus chimique consistant à transformer en teinture les glandes concernées, « la substance se transforme en quelque chose d’autre ».Des espèces de murex découvertes sur les côtes israéliennes, de droite à gauche : Le Murex brandaris ; le Murex trunculus, et le Murex haemastoma. (Shachar Cohen, autorisation de Zohar Amar)
Alors que l’approvisionnement a été important concernant deux des espèces, Amar a sorti l’artillerie lourde pour la troisième – à savoir sa belle-mère italienne. Avec son aide, la troisième espèce, Murex haemastoma, a pu être localisée à Palerme, en Sicile. Il s’est donc rendu sur cette île, la plus grande de la mer Méditerranée, lors d’un premier voyage décevant – la météo peu clémente avait gêné les pêcheurs qui étaient revenus bredouilles au port, ce jour-là. C’est à l’occasion d’un deuxième déplacement qu’il a pu revenir avec les précieuses glandes du gastéropode.
Même si Amar a étudié la théorie de la préparation de cet or pourpre et qu’il y a associé le colorant bleu azur, « en passant à la pratique, j’ai beaucoup appris au sujet des sources historiques. C’était comme un tunnel à remonter le temps », a-t-il dit.
Il a mené ses expériences initiales à mains nues – et il a découvert que ces teintures encore présentes sur les objets archéologiques depuis des millénaires laissaient des traces sur ses mains pendant des semaines. Il déclare que cela lui a donné un aperçu d’un passage de la Gémara qui l’avait toujours déconcerté : la Gemara raconte que lorsque les prêtes se présentaient devant la congrégation pour la bénédiction traditionnelle, ils ne pouvaient pas montrer des mains décolorées. Et si tel était le cas, alors ils n’étaient autorisés qu’à donner la bénédiction si la congrégation toute entière était elle-même colorée. Et après avoir déambulé pendant deux semaines avec des mains bleues, il a compris combien ces dernières attiraient l’attention autour de lui.
« Quand je suis reparti chez moi, dans l’avion, j’ai dû cacher mes mains », s’exclame Amar en riant.
Time Of Israël